Je dois vous dire une nouvelle bouleversante : le chantier de construction derrière chez moi a redémarré… Or, je m’étais habitué à un silence délicieux, orné de chants d’oiseaux et des babils de bambins voisins, enchanté du frais ruissellement de la Tiretaine (1).
Et voici que le tintamarre des outils et les cris d’ouvriers masqués (pas tous) enveloppent le quartier.
Et tout redeviendrait comme avant ?
Mais non, puisque notre sémillant président nous a promis que demain ne serait pas comme avant et que reviendraient les jours heureux (2).
Avec la touchante empathie du despote éclairé, il a annoncé la levée d’écrou pour bientôt si nous sommes bien sages.
Et, confiture sur la tartine, il prétend rouvrir les écoles car les pauvres démunis décrocheurs en ont absolument besoin ; ne s’agissant nullement de débarrasser les parents de leur marmaille pour les remettre au boulot comme le prétendent les mauvaises langues. Rien à voir vous dis-je avec l’impudente philippique du patron des patrons, dopé à la croissance, contaminé à la productivité, et dont le propos indécent fut bêtement relayé par une vague sous-ministre dont le nom m’échappe et que vous rechercherez vous-même si ça vous tente.
Et si c’était vrai ? Si notre guide suprême de l’ancien nouveau monde, inspiré par les hardis révolutionnaires, rédacteurs d’intrépides pages sociales, comptait réellement troquer son libéralisme échevelé contre un projet de nouvelle société plus humaine, plus solidaire, et tout ça.
Vous en doutez ?
Ce soi-disant inédit épisode pandémique a pourtant révélé de nouvelles perspectives, puisque nombre de pays ont privilégié presque sans hésiter l’urgence sanitaire au mépris du fracas économique, tandis que précisément les crétins populistes en niaient la nécessité.
Oh, nous savons bien que les « plus jamais ça » et autres « der des ders » n’ont certes pas empêché les humains de toujours remettre leurs hommeries sur l’ouvrage, mais c’est tellement bon de croire aux lendemains qui chantent. Et, voyez-vous, je persiste, dans le brouhaha humain, à entendre la petite musique de Mozart plutôt que les éructations de l’inénarrable Trump, non pas par naïveté mais en vertu d’une étrange foi que je garde chevillée au cœur.
L’espérance s’exalte dans la souffrance, l’héroïsme se nourrit de l’adversité et chaque conflit d’ampleur accouche de bouffées de joie et d’amour.
Est-ce ainsi que les hommes vivent ? (3)... Oui !
Cependant, Je crois en l’homme cette ordure / Je crois en l'homme ce fumier / Ce sable mouvant, cette eau morte.(4) Je crois en l’homme, la plus drôle des créatures, en somme, plus drôle que le poisson qui vit dans la mer sans savoir la mer.(5)
Car enfin, si la condition humaine est absurde, est-ce à dire qu’elle n’aurait aucun sens ?
La pierre que Sisyphe pousse incessamment et laborieusement au sommet de la montagne et qui, inéluctablement dégringolera encore et encore sur la même pente, ne creuse-t-elle pas un nouveau sillon annonçant qu’un jour viendra couleur d’orange (6) ou d’un beau vert éclatant que notre pauvre planète martyrisée réclame… Et n’est-ce pas pour cela qu’il faut imaginer Sisyphe heureux (7)?
Et si avril nous fait encore grise mine, en mai peut-être aurons-nous la force d’inventer un monde moins laid…
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