C'est sous le titre "Une priorité nationale" que la revue ESPRIT publie un édito remarquablement inspiré. On ne saurait mieux dire le danger qui guette notre "douce France" :
"L’histoire nous a appris que la démocratie ne s’effondre pas en un jour. La fatigue des institutions et le ressentiment de la population suscitent des forces politiques qui finissent par accéder à un pouvoir tombé en déshérence. C’est du moins le schéma qu’évoquait avec inquiétude Jacques Madaule dans les pages d’Esprit en décembre 1938.
En 2022, pour la troisième fois en vingt ans, l’extrême droite est au second tour de l’élection présidentielle française. Non seulement la répétition de l’événement le banalise et affaiblit la possibilité d’un sursaut, mais il s’inscrit dans un contexte européen et international qui a vu se multiplier l’accès au pouvoir de dirigeants autoritaires ces dernières années : de l’Europe de l’Est aux États-Unis, en Turquie et en Inde, en passant par l’Italie de Matteo Salvini.
Qu’on les appelle « illibéraux », populistes ou nationalistes autoritaires, ces dirigeants ont en commun leur mépris de l’État de droit, le rejet du pluralisme, la xénophobie et l’incitation à la violence. Mais à la différence de ce que l’on observe dans des régimes de dictature comme la Russie ou la Chine, ils continuent de singer la vie démocratique, qu’ils réduisent au principe majoritaire pendant qu’ils vident les institutions de leur substance. C’est très exactement ce que propose de faire Marine Le Pen avec son projet de référendum sur la priorité nationale : simuler le jeu démocratique, tout en désarmant la Constitution.
Mais les dirigeants autoritaires ne peuvent accéder au pouvoir, en démocratie, que si la lassitude ou la colère l’emportent sur l’aspiration légitime au changement. Les revendications souverainistes réapparues ces derniers mois, tout comme le choix assumé de l’abstention par un nombre important d’électeurs, sont des signaux inquiétants qu’il faut regarder en face. Avec l’arrivée de Marine Le Pen au second tour, nous n’en sommes plus au premier avertissement. Il serait temps que nos dirigeants – à commencer par le président sortant – en prennent toute la mesure."
La rédaction d"Esprit, 15 avril 2022