Les “émeutes urbaines”, comme on les appelle, ont évidemment semé l'effroi et l'avalanche des réactions de tous bords m'a généralement attristé, parce qu'oscillant entre complaisance stupide et férocité vengeresse.
La majorité des commentaires évoque beaucoup la nécessité de rétablir l'ordre républicain et de sanctionner les émeutiers de façon exemplaire(1), et trop peu s'attachent à comprendre les causes et l'ampleur de l'embrasement, dont le chef de l'État qui tombe des nues et promet d'étudier sérieusement la question. Peut-être va-t-il relire le rapport Borloo ?
Lorsque de très jeunes adolescents sèment à nouveau la terreur avec une rage inouïe, il est temps de s'interroger sur la composition du cocktail qui explose à la face des institutions en visant par priorité les symboles de la république : mairie, école, etc.
On ne peut pas esquiver la question des relations de défiance et de violence entre la police et les habitants des quartiers populaires, notamment de ses plus jeunes habitants. Pourquoi en France, plus que partout ailleurs en Europe, existe-t-il de telles relations empreintes de méfiance réciproque, de mépris, voire d’attitudes et de propos à connotation raciste ?(2)
L'ordre républicain ne consiste pas seulement à réprimer les débordements en tous genres, et toute sanction n'a d'efficacité que si elle ouvre une perspective. Si notre société est gravement fracturée, c'est parce qu'elle ignore (au mieux) ou maltraite (souvent) ceux qui “ne sont rien”.
La violence répond à la violence et la haine répond au mépris. A-t-on réfléchi à ce que veut dire subir au quotidien un regard qui vous dit clairement que vous n'êtes pas bienvenu ? A-t-on idée des efforts incessants des associations et autres acteurs de terrain qui tentent de maintenir un tissu social solidaire et qui finissent par baisser les bras faute de moyens ?(3)
Et, parmi l'arsenal de “solutions” envisagées par le pouvoir vertical, il y a cette ignominie (imaginée par l'extrême-droite) consistant à supprimer les allocations familiales(4) aux parents qui ne savent pas “tenir” leurs enfants : il est déjà bien compliqué de “tenir” un ado dans les milieux aisés et on voudrait infliger la double-peine à des familles, souvent monoparentales, dont les conditions de vie précaires sont incompatibles avec une éducation au sens de la plupart de ceux qui ne connaissent pas et ne connaîtront jamais de telles situations.
L'ordre républicain consisterait à ne pas laisser les services publics dans un état calamiteux, à commencer par l'Éducation Nationale dont la démolition systématique est l'une des raisons majeures de son incapacité chronique à former des citoyens.
L'ordre républicain exigerait de ne pas réserver le “quoi qu'il en coûte” aux seuls besoins économiques (sans prévoir de contreparties) en déplorant en même temps que le social nous coûte “un pognon de dingue”.
L'ordre républicain voudrait enfin que le pouvoir central jacobin cesse de pomper les ressources des collectivités locales et les dote de véritables moyens décentralisés pour faire le travail qui s'impose au plus près du terrain.
Faute de quoi, la fièvre persistante continuera d'embraser régulièrement les “quartiers sensibles”.
1. Exemple de pétition qui circule sur la toile et dont le texte me fait frémir : "Les milliers de pillards et casseurs interpellés par les forces de l’ordre lors des émeutes commencent à être présentés aux juges. Mais les premiers jugements sont très légers, voire laxistes, en comparaison du niveau de violence… Nous en avons assez de cette violence ! Nous demandons l’application de peines exemplaires contre les pillards et les casseurs qui ont mis notre pays à feu et à sang !". Et pourquoi pas les aligner contre un mur et les fusiller ?!
2. Extrait du flash-info du 7 juillet du Pacte civique (texte intégral ci-joint).
3. Voyez ci-joint l'article publié le 3 juillet dans La Croix.
4. A l'exception notable de Pap Ndiaye, ministre de l’Éducation, qui s’est dit ce dimanche 9 juillet fermement opposé à cette mesure qui n’a « pas d’effet » et « sanctionne toute une famille ». Il a en outre jugé « anormal, injuste et mensonger » de « tracer des liens entre immigration et émeutes », lors d’une interview sur Radio J. « Ça, c’est le vocabulaire de l’extrême droite et hélas d’une partie de la droite », a-t-il commenté. Je salue son courage qui ne m'avait pas frappé jusqu'ici.