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Les états d'âme de MZ

L'Établi

24 Mai 2023 , Rédigé par Maurice Zylberberg Publié dans #Social

Dans un billet précédent, j'avais fait allusion au film L'Établi, excellente adaptation du récit de Robert Linhart, publié en 1978, qui évoque de manière saisissante, et de superbe écriture, son expérience d'établissement dans une usine automobile. Diplômé de Normale Sup, docteur d'État en sociologie, maître de conférences au département de philosophie de l'université Paris VIII, il est connu comme l'un des fondateurs du mouvement maoïste en France.
Il a passé une année, à partir de septembre 1968, comme OS2, dans l'usine Citroën de la porte de Choisy à Paris. Il raconte la chaîne, le bruit incessant, l’odeur de graisse, d’huile, de caoutchouc, la peur de se blesser, la saleté, les méthodes de surveillance et de répression, la résistance et la grève.

L'Établi désigne d'abord les militants intellectuels d'extrême-gauche qui, à partir de 1967, “s'établissaient” dans les usines pour vivre concrètement la condition ouvrière, soutenir la lutte des classes et contribuer à faire advenir la révolution.
L'Établi, c'est aussi la table de travail bricolée par un vieil ouvrier, génie inventif de l'outil plus efficace que la standardisation qu'on veut lui imposer de manière aveuglément autoritaire.

Ce double sens reflète le thème du livre, le rapport que les hommes entretiennent entre eux et ce que Marx appelait les rapports de production1 et plus précisément l'organisation du travail et les relations entre patrons, “petits chefs” et travailleurs.

Ces conditions de travail très dures ne sont plus d'actualité, mais de nouvelles formes oppressantes tout aussi redoutables existent, qui peuvent conduire au syndrome d'épuisement professionnel ou "burn-out"2, nouveau fléau qui se répand dans tous les secteurs professionnels.

Que dire de la condition ouvrière actuelle et plus généralement de celle du monde du travail ?

Observons que, nonobstant l'épisode récent de mobilisation contre la réforme des retraites, la lutte collective s'est affaiblie dans la mesure notamment où l'adhésion syndicale s'est effondrée : le taux de syndicalisation a été divisé par trois en France en soixante-dix ans (1949-2019).3

Remarquons aussi que, dans le public comme dans le privé, le développement de la flexibilité constitue un frein à la syndicalisation : le patronat a inventé la rémunération individuelle au mérite ou à la performance, l'entretien d'appréciation ou d'évaluation, et toutes sortes de leviers de division des travailleurs mis ainsi en situation de concurrence, tandis que l'on s'évertue à rechercher (soi-disant) le bien-être au travail, forme subtile d'aliénation pour écarter peut-être les velléités de participation à la gouvernance de l'entreprise.

J'exagère ? Voyez les trésors d'argumentation développés par les tenants du capitalisme ordinaire pour expliquer que la démocratie dans l'entreprise4 est incompatible avec la nécessaire agilité économique et commerciale, l'indispensable rapidité de décision pour répondre aux impératifs du monde moderne, etc. Raisonnement strictement identique à celui que développait la noblesse d'ancien régime pour écarter le peuple du pouvoir et entraver l'avènement de la république.5

Le monde du travail demeure, pour ceux qui ne sont rien ou sans grade, un espace d'oppression et les petits chefs et autres chefs de projet, généralement affublés de titres ronflants anglo-saxons, croulent sous des charges démesurées et des objectifs inatteignables.

Bref, dans le monde du travail, la liberté reste majoritairement cantonnée à la liberté d'entreprendre, c'est à dire trop souvent la liberté d'exploiter les travailleurs.

Cependant l'économie sociale et solidaire6 (coopératives, mutuelles, associations, ou fondations), dont le développement continu est prometteur, offre une perspective intéressante, de même que la cogestion à l'allemande7.

En tout cas, il est grand temps de quitter le modèle capitaliste basique dont la course cupide au profit abime les humains et saccage la planète.

 

1. Selon Marx (Misère de la philosophie, 1847), les rapports de production dans la société capitaliste sont un rapport d’exploitation de l’homme par l’homme : les propriétaires du capital s’approprient la survaleur créée par les prolétaires. Marx distingue quatre grandes formes d’organisation des rapports de production : esclavagisme, servage, fermage, salariat.
2. Les résultats du baromètre publié le 20 octobre 2021 par le cabinet Empreinte Humaine, spécialisé dans la prévention des risques psychosociaux (RPS) sont alarmants : le taux de burn-out a augmenté de 25% depuis mai 2021, pour culminer à 2,55 millions de personnes en burn-out sévère (source : JuriTravail, mars 2023).
3. Cf. ici source DARES ((Direction de l'animation de la recherche, des études et des statistiques, Ministère du travail).
4. Voyez ici Qu'est-ce que la démocratie dans le monde de l'entreprise ? et
La « démocratie d’entreprise » : quelle pertinence, besoins et leviers ?
5. Le milliardaire américain Warren Buffett a déclaré sur CNN le 25 mai 2015 : « Il y a une guerre des classes, c'est un fait, mais c'est ma classe, la classe des riches qui mène cette guerre, et nous sommes en train de la gagner ».
6. Cf. ici précisions du CEDEF (Centre de documentation Économie Finance, Ministère de l'économie et des finances).
7. Cf ici l'article de la fondation IFRAP

 

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