Sont-ce les effluves nauséabondes du glyphosate, dont la commission européenne entend encore maintenir l'usage pour dix ans, qui ont empoisonné son jugement ?
Est-ce l'oubli des valeurs fondamentales de l'Union qui la conduit à emboiter le pas des tenants d'une “forteresse Europe” ? Sous la forte pression de quelques États membres, la présidente Von der Leyen n'écarte plus la possibilité de financer, sinon les murs anti-migrants, mais leurs “accessoires” (barbelés, miradors, chiens spécialisés, etc.).
C'est ainsi que le pire poison se répand dans toute l'Europe où domine la peur de l'étranger et le repli sur soi.
Après le pitoyable marché conclu avec la Turquie, voici que nous sommes prêts à subventionner la Tunisie pour qu'elle retienne les migrants dont on sait pourtant bien comment elle les maltraite.
Dieu merci, si j'ose dire, la seule voix discordante de chef d'État européen vient d'interpeller rudement l'Union européenne :
“La mare nostrum crie justice, avec ses rivages où, d’un côté, règnent l’opulence, le consumérisme et le gaspillage et, de l’autre, la pauvreté et la précarité. Ceux qui risquent leur vie en mer n’envahissent pas, ils cherchent l’hospitalité. Le phénomène migratoire n’est pas tant une urgence momentanée, toujours bonne à susciter une propagande alarmiste, mais un fait de notre temps.
Cette mer magnifique est devenue un immense cimetière où de nombreux frères et sœurs se trouvent même privés du droit à une tombe, et où seule est ensevelie la dignité humaine. Nous sommes à un carrefour de civilisations.
Nous ne pouvons plus assister aux tragédies des naufrages provoqués par des trafics odieux et le fanatisme de l’indifférence. Les personnes qui risquent de se noyer, lorsqu’elles sont abandonnées sur les flots, doivent être secourues. C’est un devoir d’humanité, c’est un devoir de civilisation !
Le Ciel nous bénira si, sur terre comme sur mer, nous savons prendre soin des plus faibles, si nous savons surmonter la paralysie de la peur et le désintérêt qui condamne à mort, avec des gants de velours”.(1)
Pas du tout ébranlé, notre souverain pontifiait le surlendemain(2) et disait tranquillement que “le pape a raison” en déclarant en même temps que “nous faisons notre part”, comme si la France n'avait pas considérablement durci sa politique migratoire, comme si le énième projet de loi sur l'immigration ne visait pas à compliquer encore un peu plus le sort des immigrés et comme si le cynique Darmanin n'avait pas dit que la France “n'accueillera pas de migrants qui viennent de Lampedusa”.
Cette posture de lâche arrogance reflète bien l'état d'esprit très “politique” (au mauvais sens du terme) des dirigeants européens, soucieux avant tout de ne pas fâcher une opinion publique dont ils entretiennent ainsi les mauvais penchants.
Je ne sais pas si “le ciel nous bénira” mais je partage absolument le cri d'angoisse d'un homme de paix clairvoyant et je crois avec Albert Camus que “Chaque génération, sans doute, se croit vouée à refaire le monde. La mienne sait pourtant qu’elle ne le refera pas. Mais sa tâche est peut-être plus grande. Elle consiste à empêcher que le monde ne se défasse. Devant un monde menacé de désintégration, où nos grands inquisiteurs risquent d’établir pour toujours les royaumes de la mort, elle sait qu’elle devrait, dans une sorte de course folle contre la montre, restaurer entre les nations une paix qui ne soit pas celle de la servitude et refaire avec tous les hommes une arche d’alliance”.(3)
Si l'Europe continue à se regarder le nombril, à cadenasser jalousement ses frontières et à se croire à l'abri du monde extérieur, non seulement elle aura perdu l'honneur et toute dignité, mais elle sombrera dans les convulsions d'un monde chaotique livré à toutes les violences.
1. Discours du pape François prononcé à Marseille le 22 septembre 2023 devant la stèle dédiée aux marins et migrants disparus en mer.
2. Entretien du 24 septembre 2023 avec le président Macron au 20H de TF1 et France 2.
3. Discours de réception du prix Nobel de littérature, prononcé le 10 décembre 1957.