Je n’étais pas pressé de sortir, tant on m’avait juré que je croiserais sûrement la camarde en quittant ma tanière.
Pourtant, que ce fut bon de retrouver mon groupe de marcheurs, malgré une surprenante froidure qui nous saisit dès les premiers pas. Mon cher paysage des monts d’Auvergne était masqué (lui aussi) par un brouillard laiteux mais j'éprouvais néanmoins (nez en moins) l’enivrant plaisir que procure la levée d’écrou.
Après cette remise en liberté conditionnelle, « Les français pourront partir en vacances cet été » a promis notre premier ministre.
Et nous serions en guerre ?
Mais il est vrai qu’elle a bon dos (la guerre) et qu’il est aisé de la travestir avec le masque (toujours lui) de la dérision qui se distribue à foison sans risque de pénurie : « En avant, pour la guerre fraîche et joyeuse ! »(1) ou bien « Ah Dieu ! que la guerre est jolie / Avec ses chants, ses longs loisirs »(2) ou encore « Que ceux déjà qui m’en veulent se représentent ce que fut la guerre pour tant de très jeunes garçons : quatre ans de grandes vacances ».(3)
Ces viriles saillies concernent un vieux conflit démodé me direz-vous…
Or, n’a-t-il pas inspiré un poète de notre temps qui lui vouait une fervente admiration en chantant derechef : moi mon colon celle que j’préfère c’est la guerre de 14-18 !(4) ?
Mais je m’égare, il y a d’autres combats toujours à mener au sortir de cette nouvelle drôle de guerre. « Chaque génération, sans doute, se croit vouée à refaire le monde. La mienne sait pourtant qu’elle ne le refera pas. Mais sa tâche est peut-être plus grande. Elle consiste à empêcher que le monde ne se défasse. (…) elle sait qu’elle devrait, dans une sorte de course folle contre la montre, restaurer entre les nations une paix qui ne soit pas celle de la servitude, réconcilier à nouveau travail et culture, et refaire avec tous les hommes une arche d’alliance ».(5)
Et si ma génération n’y suffit pas, gageons qu’il y aura une bonne relève. « Il y a pour vous jeunes gens toujours une guerre où partir Il y a un monde à conquérir autrement que par le canon Un monde où jeter joyeusement votre gant dans la balance Un monde où l'on peut appeler toutes les choses par leur nom Il y a un monde à la taille de l'homme et de sa violence Où tous les mots de l'homme entre la vie et la mort ont choisi Je réclame dans ce monde-là la place de la poésie ».(6)
1 Gabriel Chevallier (La Peur, août 14) 2 Guillaume Apollinaire (Calligrammes, « L’Adieu du cavalier », 1918) 3 Raymond Radiguet, Le Diable au corps (1923) 4 Georges Brassens (La guerre de 14-18, 1961) 5 Albert Camus (Discours de réception du prix Nobel, 1957) 6 Louis Aragon (Les Poètes, 1960)