Vœu 21
« J'aime bien 2020 et son caractère réversible et empilable qui permet de folles combinaisons » disais-je au seuil d’une année dont la folie a dépassé toutes les prévisions.
Et voici qu’un minuscule acaryote a chamboulé l’ordre du monde ; Un mal qui répand la terreur / Mal que le Ciel en sa fureur / Inventa pour punir les crimes de la terre / Ils ne mouraient pas tous, mais tous étaient frappés (1)… Un mal semant le désordre au cœur d’une communauté humaine pétrie de certitudes soudainement ébranlées.
Pris au dépourvu, les bipèdes durent précipitamment se calfeutrer en leur logis pour faire barrière à l’assaut inattendu de l’invisible ennemi, fauchant les plus faibles, meurtrissant ou affolant les autres, inventant mille tourments inouïs, pudiquement masqués en « effets secondaires ».
C’est ainsi que je perdis le goût… de l’écriture : autre effet sournois du Covid (ou de "la" puisque d’aucuns s’obstinent à féminiser ce fléau) dont personne ne parle, pas même les complotistes qui sont pourtant légions.
Ou bien était-ce une sorte de retenue pudique au regard de tant d’auteurs talentueux dont je me suis délecté en confinement forcé ? Ou bien encore, fus-je saisi d’une saine lucidité car C’est une grande misère que de n’avoir pas assez d’esprit pour bien parler, ni assez de jugement pour se taire. (2)
Et voilà que ça me reprend ; tout effet, surtout secondaire, ne chasse pas le naturel… Un homme qui a eu sa vie déformée par la lecture et le besoin d’écrire ne peut jamais rêver, hélas ! sans mêler à ses rêveries des éléments tirés des livres. (3)
De même, nul couvre-feu ne tarira le flot continu des sottises en tous genres : pas de trêve des cons-faiseurs de piètre opinion et aucun vaccin en vue contre la bêtise.
Il faudra inventer une piqûre spéciale. Ou des comprimés. On trouvera bien ça un jour. J’ai toujours été un gars confiant, moi. Je crois au progrès. On mettra sûrement en vente un jour des comprimés d’humanité. On en prendra un à jeun le matin dans un verre d’eau avant de fréquenter les autres. Alors, là, du coup, ça deviendra intéressant et on pourra même faire de la politique. (4)
N'en doutons pas, nous retrouverons la saveur de toutes choses et le goût des autres…
Laissons 2020 agoniser et bonne année 2021 !
- La Fontaine (1621-1695), Les animaux malades de la peste
- La Bruyère (1645-1696), Les Caractères
- Joseph Kessel (1898-1979), Vent de sable.
- Romain Gary (1914-1980), Les Racines du ciel